de Michael Rosen, traduit par Andy Hill (@handyill)
Il était une fois un roi très riche et très gros. Il était riche car il employait beaucoup d’ouvriers, et il était gros car il mangeait et buvait beaucoup. Mais, le roi trouvait de quoi s’occuper. Tous les jours il allait dans son jardin pour voir ses jardiniers qui s’occupaient de ses fraises, ses prunes et ses pêches. Tous les jours, il allait voir ses tisserands qui fabriquaient ses chemises en soie, et tous les jours il allait voir ses charpentiers qui produisaient ses lits et ses tables, des escaliers et les poutres pour ses bâtisses.
Il allait partout accompagné de son vieil ami, le Lord Chambellan. Ce vieil ami était presque aussi heureux que le roi (ou il devait en tous cas faire semblant), car à chaque fois qu’il accompagnait le roi, il devait chanter ses deux chansons préférées: La Ballade des Gens Heureux et Que Dieu sauve le Roi.
Un jour, peu avant une des visites du gros roi heureux et du Lord Chambellan, un jardinier, un tisserand et un charpentier parlaient ensemble.
Le jardinier, le père Jacques, parla le premier.
« Ya un truc bizarre, les gars. Depuis que je travaille ici, j’ai dû cueillir des tonnes et des tonnes de pêches sur les pêchers des vergers du roi et vous savez quoi? J’en ai à peine mangé assez pour remplir mes deux mains. »
Puis Joseph le tisserand prit la parole.
« Et ben je ne sais pas toi, Jacques, mais j’ai dû fabriquer assez de soie depuis que je travaille ici pour aller jusqu’à la mer et puis revenir, et je n’ai même pas assez de drap fin – encore moins de soie – pour réparer le trou dans mon pantalon. »
Ensuite ce fut au tour de Robert, le charpentier :
« Vous pouvez parler, vous deux. Venez chez moi ce soir et je vous monterai ce que j’ai de plus précieux. Une table à trois pieds ! Quand nous dinons, nous faisons le quatrième pied à tour de rôle. Ca me met hors de moi quand je pense à tous le bois de charpente qu’il a fallu pour construire l’escalier qui mène à sa chambre. »
« Je vais en parler au roi, dit le père jacques. C’est un homme raisonnable. Quand il apprend combien j’ai eu faim ces dernières semaines, il comprendra et il nous augmentera un peu.
Donc Joseph le tisserand dit qu’il parlerait au roi du trou dans son pantalon et Robert promit qui lui dirait pour sa table à trois pieds.
Alors ce même jour, quand le roi entra dans le jardin, le père Jacques vint à sa rencontre.
« Votre Majesté, » commença-t-il.
« Ha c’est le bon père Jacques, cria le roi, comment ça va ? »
« Pas si mal votre Majesté, je me demandais juste, votre Majesté, si… »
« Chantez-lui une chanson, Chambellan, cria le roi. Ne vous inquiétez pas, Jacques, on se pose tous des questions, des questions. »
Le Lord Chambellan chanta Solidaire de mes frères.
« Allez, chantez avec nous, dit le roi. C’est une bonne vieille chanson. »
Alors Jacques, le roi et le chambellan chantèrent Solidaire de mes frères.
« Allez, au travail, Jacques mon gars, dit le roi, en se tournant vers le chambellan. Un gars merveilleux le vieux Jacques, vous savez. »
Ensuite, ils arrivèrent auprès de Joseph, le tisserand.
« Tout va bien, Joseph? demanda le roi gaiement au vieux Joseph. »
« Eh bien pas si mal, merci votre Majesté. »
« Bien, bien, dit le roi. Montrez-nous ce que vous avez fait aujourd’hui. »
Donc Joseph se leva et les accompagna jusqu’à son métier à tisser, et en chemin le roi remarqua le trou dans le pantalon de Joseph et explosa de rire.
« Mon pauvre Joseph! Savez-vous, Joseph, que vous avez un énorme trou dans votre pantalon et qu’on voit vos fesses? »
« En effet, j’étais au courant votre Majesté, dit Joseph, et j’allais vous demander si… si… »
Le Lord Chambellan se mit à chanter.
Si maman si, si maman si, Si maman tu voyais ma vie.
Ils rirent tous de bon cœur, et Joseph se remit au travail.
« C’est un type formidable ce vieux Joseph, vous le savez, » dit le roi au Chambellan, et ils partirent voir Robert.
Lorsqu’ils arrivèrent dans l’atelier de Robert, Robert n’était pas là.
« J’imagine qu’il doit être dans les parages, » dit le Lord Chambellan.
« Eh bien je n’aime pas attendre, répondit le roi. Je veux voir mon nouveau lit. Robert! Robert! »
Le roi avait beau crier, Robert ne répondit pas. Son manteaux était accroché à la porte, et sa boîte à outils était posée sur le banc, donc le roi alla jusqu’au banc pour regarder dans le sac. Là, en plein milieu du sac, il vit un morceau de bois. C’était un morceau de chêne qui venait des bois du roi.
A ce moment précis, Robert entra dans la pièce.
« Qu’est-ce que je vois ici ? » demanda le roi
Robert ne trouva rien à dire.
– Ah ça, c’est un… c’est un machin-truc, c’est un bidule-chouette, votre Majesté.
Le roi heureux regarda le Chambellan.
« Qu’est-ce que c’est à votre avis, Chambellan ? » demanda-t-il.
« C’est un morceau de votre chêne, votre Majesté, » répondit le Chambellan.
« Eh bien, eh bien, dit le roi, avec un rire narquois. Comme vous êtes idiot, Robert! Dites-lui qu’il est idiot, Chambellan. »
Le Lord Chambellan chanta une chanson intitulée Tu es mon soleil mais en même temps prit un couteau et coupa l’oreille de Robert.
« C’est parce que vous ne nous avez pas entendu arriver, dit le roi. La prochaine fois qu’on vous appelle, tournez bien la tête du bon côté! »
Le roi heureux rit de sa propre blague pendant que le Chambellan chantait
Tu es mon soleil, Mon rayon de soleil, Tu me rends heureux quand les cieux sont gris. Tu ne sauras jamais ma chère, combien je t’aime…
En chantant ces dernières paroles, le Lord Chambellan coupa la langue de Robert.
« C’est parce que ce que vous avez dit n’avait pas de sens, dit le roi.
Sur ce, le Lord Chambellan se préparait à couper la main de Robert, car c’est ce qu’il faisait d’habitude quand quelqu’un essayait de mettre la main sur le chêne du roi heureux – ou les oiseaux du roi, les lapins du roi, ou bien tout ce qui sortait des bois du roi. Mais cette fois-ci, le roi lui fit signe d’arrêter.
“Non, Chambellan! Il peut garder sa main. Il en aura bien besoin pour finir mon lit. Mais terminez votre chanson, mon cher. Nous ne voudrions pas manquer cela.
Donc le Lord Chambellan termina sa chanson.
… Tu ne sauras jamais ma chère, combien je t’aime. S’il te plait, ne m’enlevez pas mon rayon de soleil.
Ensuite, le roi heureux et l’obéissant Chambellan partirent ensemble, laissant Robert debout au milieu de son atelier, le sang dégoulinant de sa tête.
« Quel bouffon ce Robert, dit le roi au Chambellan. Enfin, il saura mieux la prochaine fois, n’est-ce pas? Je veux dire, si je l’avais laissé se tirer avec ce morceau de bois, il ne ferait qu’en voler de plus en plus, et il finirait par avoir tellement de bois, qu’il n’aurait plus besoin de travailler pour moi, pas vrai? Et je n’aurais plus personne pour me fabriquer mes lits, mes armoires, mes buffets, mes tables et mes belles, belles chaises, pas vrai? »
« C’est bien vrai, dit le Lord Chambellan, en enlevant le sang de Robert du couteau royal. Qui plus est, votre Majesté, cela servira de leçon à vos autres sujets. «
Le roi sourit, content de lui.
« J’ai bien travaillé aujourd’hui, Chambellan, » dit-il.
« En effet, vous avez bien travaillé aujourd’hui, » répondit le Lord Chambellan.
« La justice a été faite, ne trouvez-vous pas Chambellan ? »
« La justice a été faite à coup sûr, Votre Majesté, » répondit le Lord Chambellan
Et ils repartirent au palais à cheval.
Pendant qu’ils traversaient ainsi les champs et parcouraient les routes qui menèrent au palais, ni le roi ni le Lord Chambellan ne prêtait attention aux centaines de laboureurs, de boulangers, de bonnes, de mendiants, d’éleveurs de vaches ou de couturiers qui avait également reçu la justice du roi, tout comme Robert le charpentier. En passant ni le roi ni le Lord Chambellan n’entendait les conversations de ces personnes. Donc le roi heureux et son Chambellan étaient très loin d’imaginer ce à quoi songeaient ces bonnes gens : qu’il viendrait un temps où on mettrait fin aux Bon Mots et à la Justice du roi – une bonne fois pour toutes.